Comme vous le savez, le chômage technique m'a frappé en plein mois de mars là, à cause de la crise post-électorale qui secoue actuellement la Côte d'Ivoire. J’ai donc plié bagages le vendredi (dernier jour de taff) et le lundi 14 mars, je me suis retrouvée à la maison – sans réveil, sans panique parce que j’ai trop dormi et que je suis en retard, sans stress, en pyj1 - et j'en ai profité pour faire du rangement, genre, ya foye2, on gère3 la galère! Djaaaaahhh4, ce jour là, un gbangban5 allait s'ajouter à ma situation. Donc, voilà comment s'est déroulé cette journée.
Je venais à peine de lancer la machine à laver quand j'ai entendu un ballet incessant d'hélicoptères au dessus de ma tête. Bon, je n'y prêtais pas grande attention car depuis que certaines communes d'Abidjan sont devenues le théâtre d'affrontement entre FDS (Forces de Défense et de Sécurité) et les rebelles, ces vols d'hélico sont devenus habituels. On dit c'est l'ONUCI. Et c'est devenu notre "comme ça".
Puis, en tendant d'avantage l'oreille, je perçois des coups de feu. Les tirs qui étaient au départ sporadiques, se font de plus en plus entendre. Je me suis dit "Jiiiiih! Tirs d’Abobo là, c’est ça on entend jusqu'au quartier, ici? Ça c'est quelle affaire ça encore?".
Je ne savais pas qu'un gnaga6 se préparait non loin de chez moi! Donc, je vaque à mes occupations, mais je me rends compte que les tirs tonnent de plus en plus fort. On dirait des kalach. Les bruits se rapprochent. Ça sonne davantage. "Mais Kessi se passe?" J’avance vers le balcon, en pas chassés, pour faire ma curieuse. Je vois des gens détaler dans tous les sens, taper de ces sprints! Des tapettes qui virevoltent, oubliées par leurs propriétaires, instinct de survie oblige. Le quartier se vide. Les gens s'évanouissent dans la nature. Les commerces tirent rideaux. Les particuliers en voiture foncent pour regagner leur maison et se mettre à l'abris. Bref, ça fraya7!
Mais, c'est un western ou quoi?!
J'appelle alors un pote du quartier, toujours au courant des derniers sons, pour m'affairer, parce que vrai-vrai là, si ya drah, il faut que je puisse décaler8 en souplesse. Donc, mon pote débarque chez moi. Il est en sueur on dirait poisson qui sort de l'eau. Il me confirme que les affrontements ont repris. Mais cette fois-ci, ils ont évolués et se propagent en dehors du quartier d'Abobo.
- Djoh, Yoyo! Ya drah! Ils sont là!
- Aïe? Qui-ça?
- Les rebelles... les insurgés... le commando invisible... Tchè! Yé9 sais pas, ce qui est sûr, les gars là sont arrivés aux portes du quartier. Je pense qu'ils veulent attaquer le camp de la gendarmerie qui est à côté là. Ils sont lourdement armés. Reste chez toi. Enferme-toi. Toutes façons, il est trop tard pour gazer10 ooh, tu n'as pas le choix. Moi je vais au front (il se prend pour un soldat ooh! Qu’est-ce que vous voulez, chacun est acteur dans son film) et je reviens tout à l'heure avec plus d'infos.
Eh Djahouladé!!! Là c'est chaud!
1 Pyj: abbréviation de "pyjama"
2 Ya foye!: expression qui veut dire "il n’y a rien", "il n’y a pas de problème"
3 Gérer: maîtriser, se débrouiller avec
4 Djaaaahhh! : onomatopée qui marque l’exclamation lorsqu’on se rend compte de quelque chose, lorsqu’on découvre quelque chose.
5 Gbangban: palabre, problème, situation difficile à gérer, qui éclate soudainement
6 Gnaga: un affrontement
7 Fraya: fuir, s’échapper
8 Décaler: prendre la fuite
9 Yé: Je
10 Gazer: fuir
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