Sur les marches des esclaves |
Au détour d’une promenade, je remarque un escalier dont les marches semblent s’élever vers le ciel. Sur les colonnes de pierres érigées de part et d’autres, je peux lire le nom d’ethnies africaines. Mon nez frétille, mes sens s’émoustillent et mon œil s’enthousiasme à la vue de ces vestiges d’une autre époque.
Les inscriptions ethniques des esclaves africains |
Pour ne pas sombrer dans l’oublie, ils ont laissé des traces de leurs origines sur les pierres qui les emmenaient au sommet d’une place devenue tristement célèbre. C’était la place du marché aux esclaves, où chaque dimanche, des hommes et des femmes, arrachés à leurs terres lointaines, sortaient des cales des bateaux pour y être vendus aux propriétaires terriens.
Du haut du mémorial aux esclaves |
Sur le ponton du port, l’endroit se prête à la méditation. C’est là que je rencontre Jeannot, un pêcheur occasionnel, qui, entendant ma prière faite au vent et au soleil, me conta une histoire.
Jeannot est un fils du pays, né à Petit Canal. Il me raconta le jour où il a fait un voyage dans le temps, touchant du doigt ses origines les plus lointaines.
Quelques années auparavant, Jeannot était livreur à Paris. Un jour, alors qu’il devait effectuer sa dernière livraison dans la rue du Paradis à Paris, il lui arriva une chose étrange. Très en retard, son client fermait déjà son magasin. Après quelques excuses, il décide enfin de signer le bon de réception, soulageant ainsi Jeannot de sa dernière obligation professionnelle qui lui permettra de rejoindre sa fiancée pour le déjeuner. Jeannot remontait alors dans son camion et fermait la portière lorsqu'au bruit de celle-ci, il fut instantanément transporté dans un endroit inconnu. En l’espace d’une seconde, Jeannot se retrouvait devant une vaste étendue de sable. Pris de panique, il se crispa sur son volant, mille questions tournoyant dans son esprit. « Mon Dieu, que se passe-t-il ? Où est la rue du Paradis ? », s’interroga-t-il désorienté. De tout côté, ce n’était que désert. En face de lui, se dressait un monument qu’il décrira plus tard comme un « arc de Triomphe » planté dans le sable. Jeannot sentit la panique l’envahir. Malmené par un stress saisissant, en un flash il se retrouva à nouveau à Paris. Un clignement des cils plus tard et il revenait soudainement dans le monde qui lui était familier. Jeannot rassembla alors ses forces, ses muscles étant endoloris par la dureté de l’épreuve qui n’a duré que quelques secondes. Il descendit de son camion pour toucher le sol et se rassurer. Ses jambes flageolaient, son front perlait à grosses gouttes, son cœur battait à cent à l’heure. « Que m’est-il arrivé ? Où me suis-je retrouvé ? », se demanda-t-il hébété. C’était un jour d’automne 1992.
Le Bénin |
Le paysage béninois n’offre pas nécessairement l’image d’un pays aussi industrialisé que celle de la métropole française et le frère de Jeannot est meurtri par la misère dont il est témoin. Comment parader en berline climatisée avec collation à bord et parler business avec deux Européens qui ne semblaient s’émouvoir de rien tandis que les fenêtres offraient un spectacle désolant avec vieillards et enfants en guenilles, mendiant aux carrefours et les regardant avec curiosité ? Songea-t-il désenchanté. Tels sont les paradoxes du capitalisme.
De retour à l’hôtel, il est temps de régler la note pour se rendre à l’aéroport, mais la carte bancaire du frère de Jeannot refuse le montant indiqué, qui englobe les frais liés aux quatre chambres réservées. L’exaspération grandit après plusieurs tentatives tenues en échec. « J’ai pourtant de l’argent sur mon compte et il s’agit d’une carte Visa Premier ! Je ne comprends pas», pestait-il.
C’est alors qu’un homme, ayant suivi la scène, s’approche des quatre compagnons et leur dit : « Essayez de ne payer que pour trois personnes ». Interloqué, le frère de Jeannot s’exécute. L’opération est un succès. Le Béninois écarte alors Jeannot du groupe et s’exclame « Il est le sacrifié ! » Les trois associés de Jeannot s’en iront alors à l’aéroport, tandis que Jeannot sera contraint d’attendre quelques jours le temps que son frère lui fasse parvenir de l’argent qui lui permettra de régler sa note.
Nullement inquiété, Jeannot voit là l’occasion de faire du tourisme pendant quelques jours.
Le Temple de Pythons |
Fort d'esclaves |
La route des esclaves |
C'est non sans émotion qu'il suit la route des esclaves - « la route vers l’océan » - longue de 4 km, elle était le sentier par lequel les esclaves étaient conduits avant qu'ils ne soient jetés dans les cales des bateaux qui devaient les emmener vers leurs terres d'exil.
Peu après, Rodrigue lui propose de se rendre chez son oncle, le grand marabout[3] de la ville pour lui confectionner une amulette porte-bonheur.
Une fois chez l’oncle, Rodrigue se fait sérieusement réprimander.
- Mais tonton, ce n’est qu’un touriste à qui j'ai proposé une figurine.
- Je ne peux pas le recevoir, c’est impossible.
- Pourquoi tonton ?
- Je ne peux rien faire pour lui, il faut qu’il parte.
Penaud, Rodrigue revient vers Jeannot.
« Je suis désolé Jeannot, mais mon oncle ne pourra pas te recevoir, il dit que ton étoile est trop forte.
- Mon étoile ? De quoi parle-t-il ?
- Il dit que tu n’as pas besoin de lui, il émane de toi une énergie très forte, plus puissante que la sienne. Je me suis tout de même arrangé pour qu’il te fasse une petite statuette, mais il ne peut pas la préparer en ta présence. Alors pendant ce temps, je vais t’emmener faire un tour à la mer ».
La porte de non-retour |
Les esclaves de Ouidah |
L’image s’empare de son esprit jusqu’à le posséder totalement. Jeannot est saisi d’une sensation qu’il tentera d’expliquer « comme une main m’empoignant l’estomac, je sentit la force de chaque doigt compresser mes entrailles ».
Ce n’est qu’une fois passé l’arche, qu’il découvrit enfin la mer. Dans un élan de communion, il s’agenouilla sur la plage et laissa ses larmes se mêler aux vagues qui l’enlacèrent. Fortement ému, il se sent transporter dans une transe pendant une heure environ. Les habitants qui passaient par là, voyant ce monsieur qui pleurait dans la mer, le suppliait de revenir à lui le croyant au bord du malaise.
Jeannot s'en remet tant bien que mal et sort enfin de l’eau. La première question qu’il pose à Rodrigue est « depuis quand existe ce monument ? »
Les esclaves étaient échangés par certains rois africains contre des pacotilles, pipes, faïences, miroirs, bijoux, mouchoirs, barres de fer tessons de verre, cauris[4] ou encore des canons. Enchaînés, ils empruntaient le chemin des esclaves et tournaient autour de l’arbre de l’oubli[5]. Cela devait permettre aux esclaves d’oublier d’où ils venaient et d’oublier leurs vies passées avant d’embarquer. Plus tard un autre arbre fut planté, l’arbre du retour, signifiant le retour des esprits des frères et soeurs exportés.
Beaucoup d’entre eux sont morts pendant ces voyages, à cause des conditions de vies à bord qui y étaient insoutenables. Autour de cette histoire forte, de nombreux organismes ont offert des monuments afin que toutes ces personnes déportées ne soient jamais oubliées.
La ville de Ouidah a voulu combattre à son tour l’amnésie collective. Oui, les autorités ont compris que la plus grande erreur serait d’oublier ce passé douloureux. Si l’on se tait aujourd’hui devant les actes de racisme, d’intolérance, d’exclusion et de marginalisation, des formes plus modernes de l’holocauste négrier vont surgir. Car « le ventre de la Bête d’où est sorti le monstre est encore fécond ».
« Ce monument a été inauguré en 1992 en commémoration de nos parents africains vendus en esclavage.
En effet, Ouidah a été l’un des principaux points d’embarquement du « Bois d’ébène » vers les Amériques. Ce monument désigne « la Porte de non retour » où de petites pirogues les attendaient afin de les amener sur les caraques amarrées au large.
Le chemin des esclaves |
Bateau négrier |
Esclave enchainé |
Commerce triangulaire |
Jeannot comprit qu’il venait de répondre à l’appel de ses ancêtres. Tout ce voyage, son départ repoussé, ces rencontres, tout fut orchestré de sorte qu’il renoue avec ses racines, son histoire et sa terre. C’est à ce moment précis qu’il comprit ce que voulait dire l’homme à l’hôtel par cette phrase : « Il est le sacrifié ! »
Esclave dans les champs de cannes |
Blessures d'un esclave fouetté |
[1] Un Zémidjan (aussi appelé zem) est un moyen de transport qui ressemble à un taxi-moto. Le terme signifie littéralement "emmène-moi vite" ou encore "prends-moi brusquement" en fon, langue du sud du Bénin. Très appréciés par la population, ils transportent leurs clients, indépendamment de l'état des routes et de l'heure du jour ou de la nuit, dans n'importe quel endroit de la ville, où les taxis traditionnels ne peuvent pas toujours se rendre.
[2] L’adoration du python a commencé juste après la guerre fratricide de 1717 qui a opposé les royaumes de Danxome et des Houeda, aujourd’hui Ouidah. Face à la défaite de son armée, le roi Kpassé des Houeda se réfugie dans une grande forêt pour échapper à la captivité. Il doit alors son salut aux pythons qui barrent le chemin à ses poursuivants. Depuis lors, le roi, en guise de reconnaissance, va ériger trois cases dans la forêt et faire des pythons, avec qui il passe alliance, le totem des Houeda. Depuis cette époque, a lieu tous les sept ans dans le temple au « python royal » une grande fête au cours de laquelle 41 petites filles vierges vont chercher, à l’aide de petites jarres, de l’eau sacrée recueillie dans une grande jarre pour des cérémonies de purification. L’autel de la divinité se trouvant dans la plus grande des cases et servant de lieu d’invocation et de prière pour les maîtres de cultes. Quant aux deux autres cases, elles sont consacrées aux cérémonies de purification et d’exorcisme des mauvais esprits.
[3] Le marabout est une personne connue pour ses pouvoirs de guérisseur.
[4] Les cauris servaient de monnaie d’échange pendant la traite négrière en Afrique Occidentale. « Très recherchés des populations de la Guinée supérieure et de l’intérieur », les navires négriers ramenaient des grandes quantités de ces coquillages de l’Océan Indien à la Côte des Esclaves en échange d’esclaves.
[5] A la place du fameux arbre de l'oubli, se trouve un édifice qui porte la mention suivante: « En ce lieu se trouvait l'arbre de l'oubli ». Les esclaves mâles devaient tourner autour de lui neuf fois. Les femmes sept fois. Ces tours étant accomplis, les esclaves étaient censés devenir amnésiques. Ils oubliaient complètement leur passé, leurs origines et leur identité culturelle pour devenir des êtres sans aucune volonté de réagir ou de se rebeller. Cette croyance était plus destinée à rassurer les esclavagistes et les rois du Dahomey, auteurs des razzias, contre un retour éventuel des âmes vengeresses des esclaves, qu'à effectivement faire oublier aux esclaves leur passé.
4 commentaires:
sesie montre se que des hommes on resentis bravo
Merci Anonyme!
Belle plume! Bravo!
lédigaga
Merci Lédigaga!
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